En un mot : «Femme, j’écris ton nom».

Ceux qui veulent combattre l’usage
par la grammaire se moquent.
Michel de Montaigne, les Essais, III.
La question a été réglée par l’usage, malgré quelques provocations résiduelles misogynes, drapées du manteau du purisme normatif. L’Académie française, violemment hostile à la féminisation à la toute fin du XXe siècle (1998-2000) a dû pourtant venir à résipiscence en février 2019 (voir ici). Il est vrai qu’elle s’était elle-même féminisée entretemps, en dépassant le seul stade des présences symboliques).
Pourtant, en 1961 déjà, le grand grammairien Maurice Grevisse expliquait déjà en 1961 dans Problèmes de langage que:
Les femmes ont conquis, dans le domaine de la politique, de l’administration, de l’industrie, du commerce, du sport, ailleurs encore, des positions, des situations qu’il faut bien, logiquement, désigner en féminisant les noms masculins qui y correspondent.
Les règles que l’Administration fixe pour elle-même
Avant même l’officialisation du revirement académique, le Premier ministre Édouard Philippe énonçait dans une circulaire du 21 novembre 2017 les règles à appliquer par l’administration. Le Premier ministre était dans son rôle, puisque les articles 20 et 21 de la Constitution en font formellement le chef du Gouvernement et de son administration. Cela avait été le cas de Lionel Jospin, sur le même sujet, en 1998.
La circulaire Philippe a été solennisée par une publication au Journal officiel (22/11/2017), ce qui n’est pas inédit mais reste exceptionnel pour les circulaires et autres instructions. Son titre est sans équivoque: «Circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française».
Si la presse s’est focalisée sur la prohibition de l’écriture inclusive dans les actes administratifs (ce qui est un débat de nature différente, même s’il est connexe à notre sujet), on omet de rappeler que cette circulaire s’inscrivait dans la démarche ouverte par circulaire du Premier ministre Lionel Jospin du 8 mars 1998.
La circulaire Philippe de 2017— qui renvoie explicitement au guide Femme, j’écris ton nom, précise en particulier que :
Dans les actes administratifs, vous veillerez à utiliser les règles suivantes :
- Dans les textes réglementaires, le masculin est une forme neutre qu’il convient d’utiliser pour les termes susceptibles de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes.
- Les textes qui désignent la personne titulaire de la fonction en cause doivent être accordés au genre de cette personne. Lorsqu’un arrêté est signé par une femme, l’auteure doit être désignée, dans l’intitulé du texte et dans l’article d’exécution, comme « la ministre », « la secrétaire générale » ou « la directrice ».
- S’agissant des actes de nomination, l’intitulé des fonctions tenues par une femme doit être systématiquement féminisé — sauf lorsque cet intitulé est épicène — suivant les règles énoncées par le guide d’aide à la féminisation des noms de métier, titres, grades et fonctions élaboré par le Centre national de la recherche scientifique et l’Institut national de la langue française, intitulé « Femme, j’écris ton nom… ».
- Suivant la même logique, je vous demande de systématiquement recourir, dans les actes de recrutement et les avis de vacances publiés au Journal officiel, à des formules telles que « le candidat ou la candidate » afin de ne pas marquer de préférence de genre.
La circulaire Philippe s’impose aux administrations de l’État. Sa finalité est d’ailleurs les modalités de rédaction dans les textes devant paraître au Journal officiel et, par extension, dans les bulletins officiels des différents ministères ou groupes de ministères. Elle n’est pas forcément gravée dans le marbre ad vitam æternam, mais montre, en matière de visibilité des femmes, quel chemin a été parcouru depuis 1998 (chemin escarpé fourni en ronces, plutôt que promenade idyllique sur des pétales de rose).
Elle ne s’impose pas aux employeurs privés et, plus largement aux personnes privées, mais, dans le monde professionnel, des règles de non-discrimination sont fixées par le Code du travail, par exemple pour les annonces de recrutement.

Des évolutions académiques tardives
Entre la période 1984-1998, d’une part, et celle qui s’est ouverte depuis 2019, d’autre part, les positions de l’Académie française ont connu des évolutions marquées [article détaillé]. Résolument hostile dans un premier temps, de façon virulente lorsqu’est publié, sous l’impulsion de Lionel Jospin, Femme, j’écris ton nom (voir les références plus bas), elle fait plus qu’assouplir sa position en 2019.
Entretemps, l’Académie s’est relativement féminisée. La commission chargée de préparer un rapport sur la question était composée de quatre académiciens… dont deux académiciennes (Danièle Sallenave et Dominique Bona). Ce rapport, adopté «à une large majorité» le 28 février 2019 ménage encore la chèvre et le chou, tant il est vrai que, pendant trente ans, les déclarations académiques ont été péremptoires. Mais il admet du moins que l’usage de la féminisation doit être pris en compte malgré des poches de résistance dans certains corps prestigieux (étonnant, non?). On a toujours parlé de directrices d’école maternelle ou élémentaire, mais il convenait, là où les femmes, longtemps, n’ont point été admises, qu’on parlât de Mme le directeur d’une administration centrale. Ces temps-là sont derrière nous, malgré certains rétrogrades.
On répondra que, sans nul doute, la féminisation des mots n’est pas l’égalité réelle. Mais d’autres rétorqueront, en reprenant Albert Camus, que mal nommer les mots, c’est ajouter au malheur du monde et, en tout cas, que le fait de considérer que certaines formulations devraient rester ad vitam æternam cantonnées au masculin conforte les attitudes machistes et misogynes, comme si les femmes accédant aux fonctions les plus éminentes devaient par quelque transmutation étrange, et d’abord à elles étrangères, se comporter en hommes.
La féminisation des noms de métiers, grades, titres et fonctions est devenue un fait dans la société. L’Académie commence à l’admettre, ce qui vaut pour elle à admettre la défaite même du point de vue masculiniste qu’elle masquait du voile de la grammaire (enfin, de sa vision de la grammaire).
Cinquante ans après le propos de Grevisse que rappelait le début de cet article, il était bien temps!
Voir aussi
- Site en ligne de Femme, j’écris ton nom (avec formulaire d’accès aux formes féminisées dans le lexique en ligne) [Toujours accessible en janvier 2022]. Voir également le rapport du même nom accessible en PDF sur le site officiel «Vie publique» (ex-Documentation française).
- Le ministre est enceinte ou la grande querelle de la féminisation des noms. Livre de Bernard Cerquiglini, Seuil, 2018, 208 p.